Retour à Lampedusa, par Ali Khelil, co-auteur et comédien de Ras d’eau :

"Il y a la manifestation des pêcheurs demain matin, vous devriez y aller".

C'est ce que nous dit Angelo quand nous le rencontrons à l'aéroport de Lampedusa ce 22 février aux alentours de 22 heures. Il accompagne Alessandra qui est venue nous accueillir.
C'est la deuxième fois que mes pas me mènent sur cette île-caillou.
La première arrivée était irréelle. J'étais avec Diego. C'était tôt le matin, après une journée où nous avions traversé la Sicile, du nord au sud, deux fois. Je voulais absolument aller à Lampedusa par la mer mais le bateau n'a pas voulu partir de Porto Empédocle, mer mauvaise, parait-il, pourtant elle était plus calme que moi.
Nous avons donc pris l'avion.
On nous a fait descendre sur le tarmac et on nous a demandé d'attendre nos bagages qui étaient, eux aussi, en train d'être jeté à terre. Quand mes pieds se sont posés sur l'asphalte, j'ai senti comme une onde traverser ma colonne vertébrale, et à mes narines est arrivée l'odeur du désespoir. Nous avons marché jusqu'à l'aéroport. Dans le hall, une affiche "bienvenuti a Lampedusa" avec, au-dessus, une béance du faux plafond me met tout de suite dans l'atmosphère. 
Plus tard, je découvrais les dizaines de barques clandestines jetées çà et là sur l'île. Posés sur le sol du terrain de foot près du port, gardés par des militaires, les bateaux m'attendaient. C'était pour eux que j'avais fait ce voyage. Ils le savaient. Près des barques fracassées, un marchand de fleurs. Je tremblais de l'intérieur, les poings serrés, mais je réussi à acheter un bouquet de fleurs blanches, et à ne pas les tacher de mes larmes. La coque d'un bateau s'est fendue d'un trou pour mes fleurs, un des militaires a voulu m'empêcher d'y planter mon bouquet mais il a peut-être deviné la tempête qui m'habitait et m'a laissé faire. 

Puis j'ai marché, comme pris par un tourment absurde, pourquoi suis-je vivant ? Les yeux à l'intérieur, j'ai cherché une logique quelconque à mon parcours. Je n'ai toujours rien trouvé. C'est peut-être pour cela que je suis revenu sur l'île ?
Cette fois l'aéroport n'est plus le même. Il est neuf, il brille. J'ai l'impression de m'être perdu, de m'être trompé d'île.
Revoir Alessandra m'a rassuré, je suis bien au bon endroit. Angelo est là, nous lui posons quelques questions au sujet de la manif des pêcheurs, puis il nous emmène au camping. Nous faisons connaissance avec nos petits chalets, avec les chats, avec les pierres et la lune qui nous regarde de haut. Première nuit de sommeil agitée, le corps est arrivé mais la tête est toujours en chemin.
Le lendemain matin je sens que ma tête a retrouvé mon corps, tout va bien.
Et cette île que je connaissais, je l'ai vue sous une autre lumière. Je n'avais plus en moi ce gouffre de souffrance, j'avais accepté que l'espoir et la mort aient ici le même sens. J'ai découvert qu'il y avait de la vie aussi. Revoir les visages que j'avais vus la première fois m'a rempli d'un bonheur étrange et léger. Ceux qui m'avaient dit au revoir du bout des lèvres, m'accueillait en me prenant dans leurs bras, comme si mon absence et surtout mon retour m'avaient créé en eux une place particulière. Beaucoup de gens sont venu sur ce caillou maritime, très peu sont revenu. J'ai revu les endroits que je connaissais, j'en ai découvert d'autres. Accompagné toujours par Diego, mais cette fois Mélanie était du voyage. Elle a nous a permis d'avoir un regard nouveau sur ce microcosme qu'est Lampedusa.
Nous avons écrit un peu partout, dans le camping, sur la plage, dans une salle de classe ; dans des cafés, sur des trottoirs. Nous avons marché, chevauché des vélos, nous nous sommes perdus sous la pluie.
Et nous sommes repartis avec, à l'intérieur, des images et des sons qui n'attendent que l'instant de jaillir sur des feuilles de papier.
05/03/2013


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